En 2011 , le Populisme effectue un retour en force . Mais le terme est ambigu , à la fois une insulte et un constat. Mieux vaut s'en servir avec modération.
Trop souvent, il sert à se débarrasser d'un adversaire politique encombrant ou dont on ne comprend pas bien la nature. Ainsi, la gauche libérale américaine qualifie-t-elle le Tea Party de populiste, ce qui évite d'en étudier la nature et les revendications. Pourquoi le terme de populisme est-il si négatif et méprisant ? Le populisme comme insulte implique le déni de la démocratie et de la cohérence intellectuelle : le populisme manifesterait une sorte de surgissement des passions primitives, une exploitation politique de l'instinct. Le populisme ainsi qualifié ne respecterait pas la règle du jeu démocratique, mépriserait les institutions légales ou légitimes. Les solutions dites populistes seraient absurdes, irréalisables, contradictoires. Le terme renvoie aussi aux années 1920-1930 : le populisme de manière insidieuse est une allusion aux fascismes qui furent et restent qualifiés de mouvements populistes.
Qualifier de populistes le Tea Party aux Etats-Unis, mais aussi les partis d'extrême droite hostiles à l'immigration en France, Pays-Bas, Danemark, Autriche est une qualification chargée d'un poids historique considérable : le risque d'abus de ce terme est de ne pas comprendre la signification singulière ni le contexte historique, social, économique, voire religieux, propre à chacun de ces mouvements.
On ajoutera que le populisme comme fait politique et comme qualificatif insultant n'est pas réservé aux mouvements de droite quand bien même ces mouvements sont d'ordinaire plutôt à droite. Mais, dans les années 1920, le fascisme naquit plutôt à gauche : Mussolini et la plupart des leaders fascistes français et belges venaient du socialisme. Et ne devrait-on pas qualifier de populistes, les Partis communistes en Europe qui nièrent les institutions démocratiques, prétendant dépasser les clivages sociaux et politiques traditionnels ? L'alliance des socialistes et des communistes en Europe, dans les années 1930, se désignaient comme étant des Fronts populaires. Populaire serait-il positif alors que populiste serait négatif ? On est là, pris en étau, entre le jugement et l'analyse et plutôt du côté du jugement de valeur que de l'analyse sereine.
Cette classification à droite du populisme laisse perplexe sur la nature du mouvement américain Occupy Wall Street. Nombreux sont les commentateurs aux Etats-Unis qui estiment que OWS est une réponse, symétrique, au Tea Party. Cette symétrie est toute relative dans la mesure où le Tea Party s'inscrit dans les institutions américaines, se réclame de la Constitution et tente de transformer l'équilibre politique de l'intérieur de ce système, en particulier en essayant de conquérir l'appareil du Parti Républicain. Le mouvement OWS, en revanche, se situe hors système, contre le système, et doute que les institutions démocratiques, telles qu'elles existent, répondent véritablement aux attentes populaires. OWS, en prétendant représenter 99% des Américains, n'est-il pas plus populiste que le Tea Party qui souhaiterait ne représenter que 50%, soit la majorité Républicaine ? On notera que l'opposition- le slogan des « Occupants »- entre les 99% - le peuple authentique - et les 1% - les élites ploutocratiques - se retrouve déjà dans l'oeuvre du sociologue Thorstein Veblen qui, dans son livre Theory of the leisure class (1889), condamnait la "conspicuous consumption" des élites parasitaires.
La même interrogation vaut pour tous les soulèvements qui ont parsemé la planète en 2011 et qui ont contesté les institutions existantes, qu'elles soient démocratiques ou non. On citera le soulèvement des étudiants du Chili qui estiment que les institutions démocratiques ne représentent ni la jeunesse, ni la Nature patagonienne menacée par des barrages hydro-électriques. Le paysage politique en Corée du Sud est bouleversé par une mobilisation des jeunes par l'entremise des médias sociaux, qui permettent de contourner les partis politiques classiques et d'influencer de manière décisive les élections en imposant des candidats " venus de nulle part ". La révolte des classes moyennes en Israël contre la vie chère a opéré en dehors des institutions, prenant tous les dirigeants par surprise : ce mouvement est-il populiste ? Où classer, sinon dans la même catégorie populiste, les rébellions contre la corruption en Inde, qui ont assiégé, à l'automne 2011, le Parlement de New Delhi ? Dans les nations arabes, on voit se dérouler une révolution qui exige la démocratie mais dont tel ne fut pas le mot d'ordre au départ. En Tunisie, la révolution du jasmin fut un soulèvement populaire des jeunes diplômés pour obtenir des emplois, ce fut aussi le point de départ en Egypte. Ces révolutions sont ensuite devenues démocratiques avec l'espoir chez les insurgés que la démocratie répondrait enfin à leurs exigences économiques, de liberté politique et religieuse. Selon là où l'on se situe dans le monde arabe, ces révolutions seront perçues comme populaires ou populistes, et comme progressistes ou réactionnaires, en fonction du résultat des élections. Comme les partis islamistes emportent toutes les élections en Tunisie, au Maroc , en Egypte - sans que ce soit un raz de marée pour autant- la gauche battue les a immédiatement appellé populistes : le jugement de valeur, et la déception, l'emportent souvent sur l'analyse.
Si l'on parle tant de populisme, c'est qu’il existe bien entre tous ces soulèvements quelques points communs au-delà de la simple simultanéité. Certains seront tentés de privilégier le déterminisme économique : la récession ou stagnation économique aurait enflammé les foules, parmi les plus directement atteints - jeunes diplômés au Caire, petits entrepreneurs aux Etats-Unis. La récession expliquerait aussi les succès populaires ou populistes des mouvements hostiles à l'immigration, de l'Arizona à la France, en passant par la Belgique et les Pays-Bas. L'explication par l'économie est persuasive mais à condition de ne pas la considérer comme exclusive. Le rejet de l'immigration, paramètre fondamental du populisme de droite aux Etats-Unis et en Europe, s'aggrave en temps de récession mais il est aussi une composante permanente des sociétés inquiètes de leur "identité nationale". C'était déjà le cas dans les années 1920 : cette crainte de "l'autre" n'épargne aucune nation et dans le monde arabe aussi, le populisme est prompt à désigner les minorités culturelles ou religieuses comme boucs-émissaires.
Par-delà les circonstances, économiques et identitaires, tous les mouvements dits populistes contemporains partagent une même technique de mobilisation et d'expression : les réseaux sociaux sur internet. Facebook, Twitter, YouTube, Weibo, ne sont que des médias mais comme l'écrivit Marshall Mac Luhan dans les années 1960, "Le média, c'est le message". Se mobiliser, sans leader et sans programme, mais pour chercher une alternative à la démocratie et au capitalisme, c'est peut-être l'objet du populisme contemporain. On ne sait pas où on va, mais on y va et tous ensemble. Ce spontanéisme a été loué par un Stéphane Hessel, dont le pamphlet - Indignez-vous - est devenu la référence des rebelles de Madrid, Londres et New York.
La technique, parfois, change le monde: quand Gutenberg inventa l'imprimerie, nul n'imaginait que cette machine, en diffusant la Bible, conduirait à la Réforme protestante. Sans la radio, Hitler n'aurait pas réussi à s'imposer. Il est donc envisageable qu'internet et les réseaux sociaux soient en train de dépasser leurs fonctions originelles de communication, commerce et loisirs, pour transformer les règles du jeu politique. Les "populistes" auraient alors été les plus rapides à saisir et à exploiter ces réseaux sociaux à leurs propres fins. Comment les partis et et les élites traditionnelles vont résister à l'impact populiste de ces réseaux sociaux, reste à inventer.
Le populisme n'est pas de droite. L'on traite aussi bien Mélenchon que Lepen de populistes. Ici, les républicains traitèrent Howard Dean de populiste.
Il y a dans les populismes un leitmotif commun: celui de dénoncer les "élites". Le mouvement OWS est trop désorganisé pour l'instant pour avoir une quelconque influence. C'est classique. La gauche bordélique et la droite disciplinée. Mais le Tea Party est bien moins uni qu'il n'y parait, et il est noyauté et manipulé par quelques grosses fortunes qui n'ont rien, mais vraiment rien de populaires.
A noter le triomphe de l'Islamisme, y-compris dans sa version la plus radicale, en Egypte. Populisme ?
Non. Démocratie, que ça nous plaise ou non.
Rédigé par : ETF | 01 décembre 2011 à 22:11
Les populistes en politique c'est toujours les autres.
Mais il est vrai que c'est surtout la gauche aujourd'hui qui c'est accaparé ce terme pour désigner les courants d'extrêmes droites et nationalistes.
Mais dans leur genre il sont finalements pareils comme le dit ETF en début de son commentaire.
D.J
Rédigé par : D.J | 01 décembre 2011 à 22:28
Le populisme est chez nous une création des années 80, sans doute parce qu'il était gênant de rappeler le poujadisme quand Pierre Poujade était nommé au CES par le président Mitterrand pour qui il avait appelé à voter. Il servit également à stigmatiser le FN qui, à y regarder de près, ressemblait fort au RPF de la IVème république...mais cette appellation ne correspond à rien de connu et répertorié chez nous...le populisme en revanche a existé et existe encore parfois en Russie, en Europe centrale, en Amérique du sud et, enfin, aux USA, où, entre autres, on lui doit le délicieux "Magicien d'Oz" de Frank Baum...
:-)
Rédigé par : GAUTHIER | 02 décembre 2011 à 13:13
Curieux terme que "populisme"...En démocratie, une voix est égale à une autre voix, qu'il s'agisse d'un X ENA ou d'un analphabète...
Le populisme ne serait-il pas tout simplement un courant d'opinion contraire à celui de l'establishment? En quoi serait-il moins important? Si l'on méprise les courants d'opinion populaires, alors on n'est plus en démocratie mais dans une oligarchie.
Après tout, ne serions-nous pas dans une oligarchie? L'Europe et l'euro qui devaient nous protéger et qui vont nous plonger dans la désespérance pendant au moins une décennie, n'avaient-ils pas été remis en question par le référendum de 2005? Qui a été ignoré par nos dirigeants?
Rédigé par : El oso | 02 décembre 2011 à 15:16
Probablement que G.Sorman lit l'Hebdo. Mais je met en lien pour les autres une interview de l'artiste chinois Ai Weiwei persécuté par le régime de Pékin.
http://www.hebdo.ch/je_devrais_avoir_honte_134629_.html
D.J
Rédigé par : D.J | 03 décembre 2011 à 10:38
Je propose un changement de titre, et de sujet (puisque je remarque que notre taulier change ses titres après-coup).
"2012, une année Islamiste."
Rédigé par : ETF | 04 décembre 2011 à 16:28
Me revient un des miens rares passages en votre blog où ayant eu l'outrecuidance de railler les oeuvres du grand n'importe quoi financier et bancaire qu'encourageait le libéralisme dont êtes un des plus brillants (sans ironie) chantres, je me vis répondre que la faute en revenait à Clinton, qui avait trop encourager l'accession à la propriété à des gens en étant incapables... (je croyais que le libéralisme, c'était la réappropriation générale du sens de la responsabilité, Slama m'aurait menti...), et je lis ce jour dans Le Monde un intéressant premier paragraphe...
http://finance.blog.lemonde.fr/2011/12/04/banques-americaines-l%E2%80%99etau-se-resserre-sur-les-fraudes/
encore une analyse de l'axe socialo-communiste, à n'en point douter.
AO
Rédigé par : oursivi | 05 décembre 2011 à 11:47
Et un commentaire railleur censuré, un !
Taddéi vous laisse plus de chance...
AO
Rédigé par : oursivi | 03 janvier 2012 à 22:45