Depuis les Etats-Unis, j'écoute par internet comment les médias français commentent le retrait définitif des troupes américaines hors d'Irak : retrait à pas comptés puisque les militaires iront camper au Koweït mitoyen, ce qui permettrait un retour instantané. Autant aux Etats-Unis, les médias américains disputent du bilan de ces neuf ans de guerre, en France règne l'unanimisme : « il ne fallait pas y aller - puisque les Français ne l'ont pas fait - et ce départ programmé par Barack Obama, le bon, contre George W. Bush, le nul, est au mieux un échec, au pire une déroute ».
Vus et entendus de près comme de loin, je suis sans cesse émerveillé par la capacité des journalistes français de penser tous la même chose, en un instant donné. Comment parviennent-ils à se synchroniser en une pensée unique, quels que soient le sujet et le support ? Cette pensée unique, il est vrai, s'inscrit toujours dans une même vision du monde, sans nuance : le capitalisme est toujours en crise, les Américains ont toujours tort, les musulmans sont toujours islamistes, les Allemands sont de retour, le climat se réchauffe et Johnny Halliday est le meilleur.
Les médias américains ne sont pas supérieurs aux français, mais au moins sont-ils contrastés, en désaccord entre eux, et en dehors de Fox News, porte-voix des conservateurs, plutôt inclassables.
Si l'on s'employait à penser cette guerre par soi-même, avec les informations dont tout le monde dispose- il n'y a plus de secrets ni civils ni militaires - le bilan devrait être au choix, nuancé ou impossible. Impossible puisque la validité de cette intervention (qui ne fut pas qu'américaine, mais aussi britannique, polonaise, espagnole…) ne sera tranchée que d'ici une dizaine d'années : on saura alors, mais pas avant, si l'Irak est devenue une nation stable, sûre pour elle-même et ses voisins, où coexisteront des peuples distincts dans une relative démocratie. Si tel devait être le résultat final, l'Histoire classera la guerre d'Irak du bon côté. En fonction de l'évolution des pays arabes voisins et de l'Iran, on pourrait à terme envisager que le renversement de la dictature de Saddam Hussein fut bien le premier domino qui entraîna à sa suite les révolutions démocratiques en Egypte, au Liban, en Tunisie, au Maroc., au Yémen… Seraient alors oubliés les motifs peu persuasifs de l'invasion de 2002 - des armes de destruction massive introuvables - auxquels seraient substitués les arguments des néoconservateurs (Paul Wolfowitz, Richard Perle, Dick Cheney) pour qui cette guerre ne fut jamais autre qu'une réorganisation du Proche-Orient sur des bases démocratiques, pro-occidentales et s'accommodant de l'Etat d'Israël. Pour l'heure, on ne peut encore rien affirmer d'aussi positif ; on ne devrait rien affirmer du tout.
Un bilan plus immédiat n'est guère plus facile à dresser mais il devrait au moins être nuancé. "Le monde se porte mieux sans Saddam Hussein", observe Condoleezza Rice dans ses Mémoires : on doit lui en donner acte. Saddam Hussein, en trente ans de règne, parvint à tuer plusieurs millions de ses propres sujets, en les envoyant se faire massacrer sur le front iranien (entre 1980 et 1982, 200 000 morts irakiens, un million de morts iraniens), en gazant les Kurdes (200 000 victimes en 1988), en affamant et en humiliant les Chiites. Saddam Hussein, s’il était resté au pouvoir neuf ans de plus, ne serait pas devenu un despote plus éclairé : sans doute aurait-il progressé en mégalomanie sanguinaire. Raison pour laquelle il est difficile de comparer les cent mille victimes irakiennes, en neuf ans de guerre, pour la plupart d'entre elles tuées par d’autres Irakiens avec ce qui aurait pu se produire si les Américains n’étaient pas intervenus. L’exercice est théorique mais mérite d’être signalé : la même interrogation théorique vaut pour la récente incursion de l’OTAN en Libye : combien de vie sauvées par rapport à ce qui aurait pu se produire sans le renversement de Kadhafi ? La réponse apportée par les Irakiens eux-mêmes dépend entièrement de là où ils se trouvaient il y a neuf ans et là où ils se situent à ce jour : un Sunnite regrettera le bon vieux temps, un Chiite se sentira enfin digne, un Kurde enfin indépendant et un Chrétien soulagé de vivre ailleurs.
Cette arithmétique approximative justifie-t-elle, dans le regard américain cette fois-ci, la mort de cinq mille soldats ? Quitte à choquer, ce chiffre est extraordinairement faible au regard de la violence et de la durée du conflit, de la multiplicité des fronts et de l'impréparation des troupes. Comme nous le déclarait le Général David Petraeus conquérant Bassora : "Je me suis senti comme un étranger dans une terre étrange" (a stranger in a strange land). Cette impréparation américaine, contrairement à des commentaires mille fois répétés en France, ne tenait pas à une ignorance des cultures musulmanes en Irak, ni à une ignorance des langues : l'armée américaine bénéficie d'un recrutement si divers que toutes les cultures du monde y sont représentées. Les erreurs stratégiques vinrent plutôt de ce que pour les Américains, l'Irak fut la première guerre postsoviétique. Petraeus encore, le vainqueur de l’Irak si victoire il y eut, observait que ses troupes avaient été formées à détruire des colonnes de chars soviétiques à partir d'hélicoptères d'attaque : pas à des combats de rue, ni à désamorcer des bombes improvisées. Par suite de ce conflit, bien involontairement, l'armée américaine s'est reconvertie en temps réel aux prochaines guerres du 21e siècle : celles-ci ressembleront plus à l'Irak qu'à la deuxième guerre mondiale. Ce qui implique, ultime commentaire de Petraeus - avec qui j'ai dialogué au cours de ces neuf années écoulées - que dans les conflits contemporains, la distinction entre vainqueurs et vaincus n'est plus aussi évidente que jadis. La guerre moderne est une mêlée confuse qui ne permet pas de planter son drapeau sur une colline et de proclamer la victoire : gagner, souvent, c'est ne pas perdre. L'armée américaine n'a pas perdu la guerre en Irak, mais nul ne sait encore si elle l'a gagnée.
" L'armée américaine n'a pas perdu la guerre en Irak, mais nul ne sait encore si elle l'a gagnée. "
D'un point de vue militaire l'armée américaine à gagné cette guerre sur le terrain. Elle a vaincu l'armée de Saddam et elle a vaincu le projet de république islamiste que voulait Al qaeda. Reste encore la victoire de la paix pas encore acquise. Mais qui sera une défaite ou une victoire politique et non plus militaire.
Quand aux ADM introuvables. Je dirais qu'il ont au moins trouvé une et la principale. Saddam Hussein; qui était une ADM à lui tout seul.
D.J
Rédigé par : D.J | 19 décembre 2011 à 16:27
Outre la manipulation Orwelienne des foules américaines, les mensonges Staliniens, l'incroyable gabegie financière et nullité stratégique des premières années, il semble que vous oubliez dans votre comptabilité, le nombre, chez les militaires, de blessés graves, amputés de membres ou de parts de cerveau, défigurés, les traumatisés (PTSD), et j'en passe...
J'entendais l'autre jour une émission de radio, et les vétérans et leurs familles qui s'y exprimaient étaient, au minimum, sceptiques quant au bien-fondé de cette interminable et coûteuse entreprise. Fini le temps du Gung-ho et du roulage de mécaniques. Et pour des militaires, s'avouer qu'ils se sont peut-être (ou sans doute) battus pour rien, demande un effort psychologique majeur. Sortir de la pensée sectaire, admettre la souffrance de s'être (ou d'avoir été) trompé.
Je suis contre les armées de métier. Si un pays décide de partir en guerre, que ce soit un réel effort collectif, en trésor, en sang, et en larmes.
Je veux voir les filles Bush dans une infirmerie à Baghdad. Et surtout pas leur crétin de père frimer au golf, pendant que de jeunes garçons et filles meurent, par sa faute, dans le Golf.
Pour le reste, personne ne pourra jamais répondre à la question ultime de l'utilité de cette guerre. Car nul ne sait ce qui serait advenu si un autre chemin avait été emprunté. Infalsifiable... Et attention aux fausses causalités qui servent telle ou telle idéologie.
Pour l'instant, les fascistes au pouvoir en Iran sont certainement ravis de pouvoir compter sur un nouvel allié là où régnait il y a peu un ennemi mortel. Victoire stratégique offerte, comme un cadeau inespéré, par le grand Satan lui-même.
Rédigé par : ETF | 19 décembre 2011 à 17:02
Un commentaire interessant sur sa conclusion (nuancée) mais qui oublie le mensonge initial : les armes de destruction massive + le lien entre Al Qaeda et Saddam Hussein.
Ni l'un ni l'autre n'avaient de réalité, ce qui n'empeche pas que cette guerre, lancée pour empecher les chinois de conquérir l'Irak et Hussein de poursuivre ses exactions peut se justifier y compris a priori.
Rédigé par : Le Parisien Liberal | 19 décembre 2011 à 17:08
Je voulais au passage rendre hommage à un grand journaliste, auteur, brillant polemiste, biographe, et j'en passe, un homme d'une culture hallucinante, passionné de liberté et de démocratie, fossoyeur de conformismes, débatteur imbattable, homme de gauche qui s'attaqua pourtant sans relâche à la mafia Clinton après l'affaire Lewinski, homme de gauche qui, par amour des Kurdes et de la liberté fût interventionniste tout en se moquant de la stupidité du personnage Bush, et qui dernièrement s'était attaqué avec virulence mais humour aux fondements même des religions (que l'on soit d'accord ou pas, ce fût fait avec maestria).
Je n'ai pas lu un mot à son sujet dans les journaux français.
Christopher Hitchens, (Hitch, pour les intimes), donc, s'en est allé voir ailleurs, ou nulle part, selon ce qu'il en est en définitive.
Il laisse un grand vide qu'il sera difficile de combler.
Rédigé par : ETF | 19 décembre 2011 à 17:27
J'etais moi aussi un fan de Hitch. "Munk debates", en hommage, a mis en ligne gratuitement pour encore quelques heures, l'integralite du debat Christopher Hitchens - Tony Blair sur la religion qui s'est tenu il n'y a pas tres longtemps. Hitchens etait deja assez malade (chimio evidente) mais en parfaite possession de ses moyens intellectuels. A voir absolument, surtout si on ne le connaissait pas.
http://munkdebates.com/Hitch
Rédigé par : Avidadollars | 19 décembre 2011 à 23:56
La guerre contre l' Irak fut une plaisanterie pour les USAs. Aucun mort coté US. Un énorme jackpot: le pétrole, quant on sait que Saudi Aramco vaut entre 2,2 et 7 trillions de $ http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_corporations_by_market_capitalization , cette guerre a rapporté des trillions aux USAs. Les USAs dépensent trop dans l' armement pour ne pas s' engager dans des guerres, de plus, la devise du Christianisme appliqué à la réalité: qui sème le vent récolte la tempête, oeil pour oeil dent pour dent. Le prochain sur la liste: l' Iran: http://en.wikipedia.org/wiki/National_Iranian_Oil_Company " NIOC ranks as the world's second largest oil company, after Saudi Arabia's state-owned Aramco." De plus, ces guerres n' affectent pas le citoyen US moyen, puisque même si son pays répond le mal par le mal comme toujours (Christianisme), il peut avoir une bonne conduite et répondre le mal par le bien. L' Américain moyen n' est pas forcément un chrétien sioniste assoiffé de sang. Par exemple, de nombreux nazis, bref,la plupart des allemands sous Hitler étaient des gens paisibles.
Rédigé par : Islamo Confucianiste | 20 décembre 2011 à 03:19
ETF : "Tout en se moquant de la stupidité du personnage Bush"
Faux. Dans une émission de Bill Maher Hitchens s'en prenait précisément aux moqueurs (ici le public en l'occurrence en leur faisant un doigt bien mérité) qui accumulaient les poncifs les plus éculés sur la supposée "stupidité de Bush" à travers des formules humoristiques aux effets faciles.
La vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=HECI4QK_mXA
Christopher Hitchens twice flips off Bill Maher's moronic audience. Something we'd all like to do.
Rédigé par : Philip | 20 décembre 2011 à 03:24
Hitchens a défendu Bush à l'occasion parce qu'il défendait la guerre en Irak et que lui-même était entré en guerre avec la gauche anti-interventionniste (et notamment Gore Vidal) qui aimait à se moquer de Bush. Défense de circonstance, donc.
Mais sur le fond, on ne saurait être plus clair:
" [George W. Bush] is lucky to be governor of Texas. He is unusually incurious, abnormally unintelligent, amazingly inarticulate, fantastically uncultured, extraordinarily uneducated, and apparently quite proud of all these things."
Hitchens on Hardball with Chris Matthews, (2000)
Rédigé par : ETF | 20 décembre 2011 à 03:34
Le bilan us en Irak est calamiteux :
- plus de 4 400 soldats américains tués, 32 000 blessés ;
- 150 000 morts et 250 000 blessés côté irakien. Deux millions d’exilés.
- Le coût financier est aussi exorbitant : environ 1 000 milliards de dollars.
Mais surtout l’expédition en Irak est une catastrophe en termes géopolitiques. La destruction de l’Irak a ouvert un boulevard à l’Iran. Le Premier ministre (chiite) Nouri Maliki, mis en place par Washington, n’a désormais qu’un seul souci : complaire à l’Iran où il a d’ailleurs vécu en exil pendant de longues années. Avec des alliés tels que Maliki, les Américains n’ont pas besoin d’ennemis. Maliki se comporte, de surcroit, en apprenti dictateur faisant embastiller sans sourciller ceux qui lui déplaisent... La “contagion démocratique” mise en avant par George Bush n’a jamais fonctionné. Le Printemps arabe survenu huit ans après l’invasion de l’Irak n’a aucun rapport avec le renversement de Saddam Hussein.
Rédigé par : Empereur | 20 décembre 2011 à 07:58
@ETF
La critique de l'argument des ADM est de mauvaise foi:
1 - C'était une raison parmi d'autres; si elle fut la seule citée à l'ONU (où les 2/3 des États représentés sont des dictatures), c'est parce qu'elle y était la seule recevable. Mais si vous n'aviez pas compris en 2003 que ce n'était pas la seule raison, c'est que vous étiez très, très, très distrait...
2 - C'était un argument légitime. Qu'il se soit avéré infondé n'y change rien. D'autant plus que dans l'alternative d'un retour de Saddam Hussein aux pleins pouvoirs (seule autre option), il n'existait pas de moyen de l'empêcher d'obtenir durablement des ADM.
De même, l'argument de collusion avec Al Qaeda étaient parfaitement légitimes.
Il faut une mauvaise foi délirante pour affirmer que Saddam Hussein haïssait trop les islamistes (enfin, ceux qui le sont plus que lui) pour collaborer avec eux.
Hitler et Staline ont signé le pacte germano-soviétique malgré une haine au moins égale. Tout le monde transige avec tout le monde.
C'est la vie.
Rédigé par : Fucius | 21 décembre 2011 à 00:45
Bien évidemment que les ADM n'étaient pas la seule (ni même la vraie) raison, mais c'est la dessus qu'on a vendu la guerre aux américains. J'y étais, j'ai assisté en direct, effaré, à une des plus belles manipulation des masses qu'il m'ait été donné de voir. Magnifique!
Dois-je vous rappeler, par exemple, le fameux "mushroom cloud" de Condi. Saddam, danger nucléaire imminent pour les US!
Virer Saddam était dans les papiers et projets d'un quarteron de néocons bien avant l'accession au pouvoir de GWB (Crétinus, pour les intimes). 9/11 n'a fait que précipiter les choses.
Kurdistan et victoires militaires à part (et pour les Kurdes, attention à la réaction Turque), échec probable en Irak (mis dans la poche des Mollahs Iraniens), échec probable en Afghanistan (remis dans la poche des seigneurs de la guerre, des narco-trafiquants, du Pakistan et des Talibans), et désastre financier et politique pour les US, qu'Obama s'emploie tant bien que mal à réparer.
Pas de quoi pavoiser.
Rédigé par : ETF | 21 décembre 2011 à 03:44
Fucius = Festival Unique de Calomnies dans l'Intérêt des US ?
Rédigé par : François Delpla | 21 décembre 2011 à 06:44
" Il faut une mauvaise foi délirante pour affirmer que Saddam Hussein haïssait trop les islamistes (enfin, ceux qui le sont plus que lui) pour collaborer avec eux ".
" Les ennemis de mes ennemis sont mes ennemis " Pour l'Irak on a bien parlé de guerre préventive. Eviter que Saddam procure ( par vengeance entre autres ) des ADM aux terroristes islamiques
Aujourd'hui se sont les même anti-guerre d'Irak qui dénoncent Israël de vouloir détruire les sites nucléaires iranien. L'Iran pourrait bien à l'avenir fournir du matériel fissile enrichi aux terroristes d'Al qaeda.
Il est fort probable que si les américains en auraient fait de même contre l'Allemagne en 1933 à titre préventif contre la menace nazie; on serait encore à débatte aujourd'hui sur le bien fondé ou non de cette intervention.
Notemment sur la montée du communisme en URSS que les nazis combattaient aussi chez eux.
D.J
Rédigé par : D.J | 21 décembre 2011 à 09:47
"Cette pensée unique, il est vrai, s'inscrit toujours dans une même vision du monde, sans nuance... les musulmans sont toujours islamistes..." (GS)
Merci de bien vouloir nous indiquer sur quel mystérieux média français sévirait cette pensée unique, bien cachée. Un ou deux exemples seraient les bienvenus.
Personnellement, je n'en ai jamais vu nulle trace.
En revanche, la pensée unique très bien représentée ici selon laquelle il y aurait une différence fondamentale entre l'islam et l'islamisme, ça, oui, je la vois déversée de façon incessante sur tous les médias de masse, chez tous les intellectuels ayant droit à la parole, chez tous les dirigeants politiques...
Rédigé par : Robert Marchenoir | 21 décembre 2011 à 21:45
Le concept de "pensée unique" est devenu auto-référentiel. Chacun le brandit à sa sauce... L'originalité, le courage, c'est soi, le vilain penseur-unique, le moutonnier, c'est l'autre. Il est va de même pour le concept de bien-pensance.
Que des chevaliers intrépides, pourfendeurs de dogmes, vous dis-je.
Rédigé par : ETF | 22 décembre 2011 à 01:04