Ce
dont les Européens se remettent aujourd'hui difficilement fut une hallucination
politique collective : croire que les gouvernements sont le moteur de la
croissance économique. Cette croyance, car ce fut une croyance et pas une
science, a été répandue par des charlatans parfois bardés de titres
universitaires et que les dirigeants politiques eurent tout avantage à rallier.
À suivre cette alchimie, il aurait suffi d'appuyer sur les bons leviers,
manettes monétaires, soupapes budgétaires, volant industriel, pour que s'en
suivent, par miracle, des richesses et de l'emploi. L'opinion publique y crut
aussi puisqu'il est tentant pour l'esprit d'imaginer que des causes simples -
l'action de l'Etat - conduisent à des bénéfices collectifs, la richesse et sa
redistribution. Ainsi, au nom de la prospérité et de la justice sociale, ont
enflé comme une grenouille, la dimension des bureaucraties publiques, leurs
interventions de plus en plus détaillées et comme conséquence inenvisagée, le
déficit public : une dette à la charge désormais, non pas des coupables mais
des croyants, dupes et victimes de l'alchimie économique.
Le
seul bénéfice involontaire de cet effondrement de l'illusion collective,
dénoncé tout de même par quelques voix isolées dans le désert (mais il ne sert
à rien d'avoir raison contre la foule) sera peut-être la substitution de la
connaissance économique à l'alchimie économique. Que dit la science ?
L'expérience, toute science n'est qu'expérimentale, permet dorénavant de fonder
la croissance sur des principes peu contestables : l'innovation, l'entrepreneur
et un Etat de qualité. Cette vérité est si triviale qu'on n'ose à peine
rappeler que seule l'innovation est le fondement de toute prospérité. De la
roue à aubes aux Organismes Génétiquement Modifiés, c'est aux savants que nous
devons tout gain de productivité, c'est-à-dire la réduction du temps de
travail, la qualité de la vie et son allongement. L'innovation seule ne suffit
pas, sinon la Chine aurait devancé l'Europe dès le Moyen Âge : il faut aussi
l'entrepreneur, cet esprit ingénieux qui transforme la science en produit et
service consommables à un prix accessible pour le plus grand nombre.
L'entrepreneur à son tour ne prend le risque de cette transmutation, pas de
plomb en or, mais de science en objet standardisé, que s'il y trouve son
avantage. Cet avantage ne lui est garanti que par un Etat de qualité. Pas de
développement donc sans des institutions stables, fiables et prévisibles :
un état de droit que seul garantit un Etat de qualité. Pas un Etat de quantité.
À
la faveur involontaire de la crise donc, cette théorie très ancienne de
l'entrepreneur (formulée il y a deux siècles par Adam Smith et Jean-Baptiste
Say) resurgit. Avec de solides raisons d'être confiant en l'avenir de notre
continent européen. Il se trouve en effet que trois nations seulement, ou
groupes de nations, dominent au présent le monde de l'innovation : les
Etats-Unis, le Japon et l'Union européenne. Chacun enregistre, chaque année,
environ 250 000 brevets par an, à valeur juridique universelle, suivi très loin
derrière par la Corée du Sud, le seul pays véritablement émergent dans ce
domaine. Tous les autres se trouvent encore dans la phase de transition de
l'économie agricole vers l'économie industrielle ou dans l’économie primitive
de la sous-traitance.
Ces
brevets d'aujourd'hui nous donnent comme une photographie de l'économie de
demain : tout brevet ne générera pas nécessairement un produit et service, mais
statistiquement ce sera le cas. Des entrepreneurs capables de cette métamorphose
? Les Etats-Unis, le Japon et l'Europe en regorgent, en particulier parmi les
générations éduquées montantes qui ne rêvent que d'entreprise et de
mondialisation. Un Etat de qualité ? Il conviendra que les gouvernements qui
furent les plus intoxiqués par l'alchimie économique se convertissent à la
science économique. Ils s'y évertuent, particulièrement en Espagne. Ce qui fait
défaut est la pédagogie : les peuples qui avaient aveuglément suivi les
charlatans attendent à bon droit, un supplément d'explication. Cette pédagogie
n'est pas encore à la hauteur du désenchantement.
Copyright ABC, Madrid.
Les commentaires récents