En observant l'économie, on regarde souvent au mauvais endroit. On s'interroge sur les politiques monétaires, budgétaires, sociales, mais on laisse peut-être échapper l'essentiel. L'essentiel ? Le caractère dysfonctionnel de la plupart des Etats contemporains. Car la bonne santé des nations tient à un équilibre subtil entre le monde des entreprises et la puissance publique. Les entreprises, dans l'ensemble, sont convenablement gérées, utiles et efficaces : elles offrent des biens et services réels que la population attend. Ces entreprises y parviennent dans des conditions optimum parce qu'elles n'ont pas le choix : elles durent ou elles disparaissent. Sur les Etats ne pèse aucune de ces contraintes et jusque ces années récentes, ils n'étaient obligés à aucune règle de bonne gestion : l'apparition d'un nouvel acteur, le marché financier mondial, vient soudain d'introduire une contrainte qui est celle de l'équilibre budgétaire relatif. Mais cet équilibre peut être atteint en épuisant le contribuable et en étouffant l'économie : à l'évidence, on est loin encore d'une nouvelle harmonie entre l'Etat et les entreprises.
Celui qui, cette semaine, a attiré mon attention avec le plus d'acuité sur le caractère dysfonctionnel de l'Etat est un essayiste indien, ancien chef d'entreprise, Gurcharan Das : de New Delhi, il me fait observer que les Indiens travaillent et s'enrichissent surtout la nuit quand la bureaucratie publique dort : c'est un peu une métaphore. Il souhaiterait que sa nation puisse s'enrichir de jour aussi, avec un Etat qui ferait régner le droit et la justice, et gérerait des infrastructures décentes. Gurcharan Das, un libéral notoire qui a toujours combattu le socialisme d'Etat en Inde, admet aujourd'hui que, sans un Etat fonctionnel, son pays restera suspendu à mi-chemin entre misère et développement. En Chine, il observe qu'à l'inverse, l'Etat crée des infrastructures modernes mais que ce même Etat terrorise la population, ignore le droit et la justice : la Chine, faute d'un bon Etat, est également bloquée à mi-chemin entre misère et richesse.
En Europe de la même manière, toutes proportions gardées, les Etats se situent entre deux eaux : ils sont dans l'ensemble légitimes et respectueux du droit mais, dans leur fonctionnement, totalement archaïques. Les bureaucrates ont conservé des mœurs d'il y a un siècle, le management des ressources humaines est inconnu et la mesure de l'efficacité inexistante. On sait que toute entreprise gérée comme nos Etats ferait faillite. On sait aussi que cet archaïsme public est un fardeau collectif qui ne fait plus ni notre bonheur, ni notre prospérité. La solution n'est pas américaine car aux Etats-Unis, la puissance publique est devenue, à l'exception (partielle) de la Défense, aussi dysfonctionnelle qu'en Europe.
Cette contradiction, mortelle à terme, entre l'Etat et l'économie n'est pas inéluctable puisqu'il existe une région au moins, où la modernisation de l'Etat s'effectue : dans les pays scandinaves. En grande partie sous l'influence des cercles de pensée libéraux, les gouvernements du Nord sont parvenus à dissocier les buts et les moyens de l'Etat, l'Etat garant et l'Etat gérant. En clair, les Suédois, Danois, Norvégiens et Finlandais exigent de leurs Etats une sorte d'assurance générale contre les aléas de la vie en société, en cas de chômage, maladie, invalidité, etc. Des années 1930 à 1980, cette assurance fut garantie et gérée par les Etats ; depuis les années 1980, l'assurance reste garantie mais elle est le plus souvent gérée par des entreprises privées, à un meilleur prix, plus efficacement, avec esprit d'innovation. Le citoyen en est satisfait car peu lui importe qui gère et l'Etat est ramené à des proportions plus modestes, restitué à sa fonction originelle dite de "veilleur de nuit" dans le vocabulaire de l'économie classique.
On m'objectera que la culture scandinave est plus respectueuse des faits, plus empirique que la culture méditerranéenne portée sur les mythes et les envolées idéologiques. Il n'est pas certain que ce déterminisme culturel explique seul la reconstruction du Nord ; c'est aussi parce qu'ils côtoyèrent la faillite que les Etats scandinaves sont passés d'un Moyen-Age socialiste à une modernité libérale. En étant optimiste, on en conclura que, dans l'Europe du Sud (la France y appartient), la situation n'est pas encore assez grave pour déclarer l'Etat en péril ni le reconstruire sur des bases rationnelles. « Encore un moment Monsieur le bourreau », aurait dit Jeanne du Barry avant d'être guillotinée en 1793, la vie était si belle sous l'Ancien Régime. Les syndicats de la fonction publique font penser à la belle Comtesse, maîtresse de Louis XV.
"ils sont dans l'ensemble légitimes et respectueux du droit "
On voit bien que vous êtes un gars du sérail qui n'a pas vécu la réalité de l'Etat français au quotidien. Ce n'est que copinage... Le Droit ? Juste pour la façade de ce village Potemkine...
Allez donc Sorman, encore encore une petite censure... pour continuer vos bonnes habitudes de libéraux à la française.
Rédigé par : Josick | 08 février 2013 à 22:20
" quand la bureaucratie publique dort : c'est un peu une métaphore ".
la bureaucratie qui dort c'est plutôt un pléonasme.
Les pays du Nord ont aussi une gauche socio-libéral. Ce qui permet mieux à créer des compromis. Cela explique leur bonne réussite.
La Suisse état bien géré et peu de chômage a par contre une gauche archaïque qui dans ces derniers congrès évoque encore le dépassement du capitalisme et s'oppose à tout ce qu'on fait les gauches scandinaves en matière de réforme de l'état.
La gauche en Suisse aimerait la protection sociale scandinave
( les socialos suisses agitent sans cesse en exemple les scandinaves que c'est possible d'être généreux socialement et d'avoir une économie performante )
mais sans l'état libéral qui a permis d'assurer les financements.
La chance de la Suisse est d'avoir une droite libérale au pouvoir en permanence et la chance d'avoir le peuple le plus souvent de son côté lors des votations sur les question économique de première importance et de rejeter les vieilles idées socialistes.
D.J
Rédigé par : D.J | 09 février 2013 à 01:37
La monarchie créa la "révolution", le mot d'abord puis l'évènement pour finir. Celle-ci, incarnée, d'emblée, créa "l'ancien régime"...lequel, après une monarchie constitutionnelle, 2 empires, 5 républiques et 14 ou 15 textes constitutionnels, est ce que nous vivons aujourd'hui effectivement...la plupart des gens sans le savoir, ce qui les rend anxieux, moroses et ricaneurs...
Rédigé par : GAUTHIER | 09 février 2013 à 12:09
http://mecanoblog.wordpress.com/2013/01/30/liran-tient-bon-grace-a-son-petrole/
Rédigé par : Pasdaran | 10 février 2013 à 23:31
Laissons les entreprises utiles et bien gérées nous faire bouffer des lasagnes avec de la viande de carne et supprimons l'état qui entrave le recyclage des bêtes malades, et donc la bonne gestion des entreprises et les profits généreusement redistribués.
Rédigé par : Poulpo | 11 février 2013 à 09:12